L’irlande abrite une bien active et souterraine créature bicéphale: Invictus Productions et Into The Void Records, dont le coeur très actif se nomme Darragh O’Leary et nous livre ici quelques secrets…
-Salut Darragh. On connaît l’Irlande pour sa musique folk et rock, sa bière et ses paysages. Mais alors quand il s’agit de nommer spontanément 5 groupes irlandais de Metal, ou même des labels originaires de ce pays, ça devient une autre paire de manches ! Tu as créé Invictus Productions en 1999. Pourquoi et comment ? Tes buts ont-ils changé un peu plus de dix ans plus tard ?
L’Irlande a toujours été un pays à part en ce qui concerne le Metal. On n’a jamais eu les mêmes « scènes » qui ont émergées dans d’autres pays. Dans les années 80, il y avait des groupes de heavy metal, quelques groupes de thrash plutôt conventionnels, qui pour certains ont été populaires au niveau local. Mais on n’a jamais eu notre vader, tormentor, rotting christ ou asphyx national, même au niveau des démos.
En fait, j’ai grandi avec une scène qui a produit beaucoup de démos en 1993, dont celle de primordial. Ca a marqué le début d’une véritable scène underground en Irlande. Evidemment, avec le temps, la plupart des activistes de l’époque ont disparu de la scène, mais leur investissement d’il y a 20 ans a été essentiel à la création du mouvement que nous faisons vivre aujourd’hui. Avant notre génération, les hardos n’avaient pas de visée prétendant sortir notre musique des pubs, des soirées entre potes ou desconcerts locaux. Au final, pas mal ont coupé leurs tifs, se sont casés, et ontvendus leurs collections de disques. C’est une chose que j’aie vue se répéter à
l’infini depuis que je me suis intéressé à l’underground. Les gens ont bousillé dans l’œuf leur potentiel. C’est vraiment un des aspects les plus caractéristiques de la scène en Irlande.
A la fin des années 90, lorsque j’ai démarré le label, j’ai vu ça comme la continuation logique de ma passion pour l’underground, qui avait commencé avec le tape trading (échange de cassettes copiées avec des tonnes de démos de groupes obscurs – ndr) au début des années 90, et puis ma participation à différents fanzines un peu plus tard. J’avais aucune idée de ce que ça pouvait signifier que de lancer mon propre label. En plus je venais d’Irlande, où rien de comparable n’existait à ce moment là ! Je me suis lancé avec toute la naïveté du monde en 1999. C’était une époque bizarre dans notre pays, mais petit à petit ça commençait à bouger. Primordial s’est fait signer par un label étranger, et ça les a amenés à jouer un peu sur le continent. Emerald Promotions commençait tout juste à faire venir les groupes en tournée ici en Irlande. Ca a été un truc assez important ! C’est au même moment que Simon, alors bassiste de deströyer 666 (désormais dans assaulter avec Steve Hugues de slaughter lord) a emménagé à Dublin. Tout ça combiné a soudain rendu le Metal underground plus intéressant pour les branleurs que nous étions. On passait notre temps à écouter de la zique en boucle en disant des conneries, et surtout en rêvant de « faire des trucs » liés au Metal.
Voilà, c’était la genèse du label et de son environnement. Les buts ont changé avec les années, tout comme mon attitude vis-à-vis de pas mal de choses. Mais c’est naturel quand on prend de l’âge, je pense. J’ai eu la chance (enfin, libre à nous de se créer sa propre chance) de bosser avec des groupes et des gens excellents. Ca n’a pas toujours été facile, mais j’en retire une grande fierté. 13 ans de label, et je m’éclate encore à le faire !
-Tu sors pas mal de Metal qui lorgne vers les styles les plus extrêmes avec une attitude très sérieuse. Dans les années 90, ça n’était pas aussi populaire qu’aujourd’hui. Considères-tu que Invictus Productions a aidé cette scène désormais portée par negative plane, gospel of the horns witchrist ou diocletian à s’établir au fur et à mesure ? Ces 3 dernières années, tous ces groupes ont vu leur popularité grandir de manière assez sensible.
Depuis toujours j’aime le côté le plus extrême du black et du death metal. J’aime aussi pas mal d’autres styles, ainsi que des trucs qui ne sont pas Metal, mais je dirais que 90% de ce que j’écoute est quand même lié au Metal. Les groupes dont tu parles sont au top en ce moment au niveau de l’underground, du coup on peut les considérer comme des leaders dans une certaine mesure. Cela dit, je ne pense pas qu’Invictus ait « aidé » cette scène. Je pense que ça a plutôt été le rôle d’autres labels. Il y a de vrais meneurs dans la scène qui dictent assez facilement comment les choses doivent être faites dans l’underground. Mais en fait c’est juste comparable à ce que font les plus gros labels, simplement au niveau d’un microcosme… Intéressant paradoxe en soi !
L’Irlande est une petite île, dotée d’une population de métalleux encore plus petite. Evidemment, quand metallica joue ici, 20000 personnes se déplacent, mais ça ne reflète en rien comment les choses se passent réellement. La population de métalleux actifs, qui achètent et se bougent est minuscule. Du coup on n’a pas d’autre choix que de se tourner vers le marché étranger si on veut survivre. Invictus continuera sur sa lancée, quoiqu’il arrive !
-Certains groupes de black metal ont tendance à s’orienter vers des sonorités progressives, à mélanger des thèmes appartenant au rock occulte à des harmonies bizarres et à des sons crades. Vois-tu un renouveau du Metal extrême au travers de ces groupes ? Tu suis l’underground depuis des années, du coup j’aimerais savoir quels sont tes critères de vieux loup de mer quand il s’agit de signer un groupe sur ton label. Te vois-tu comme un passeur de flambeau assurant un certain avenir de la musique extrême ?
Il y a pas mal de cynisme dans l’underground. Des groupes qui commencent à gagner en succès se font laminer par leurs fans de la première heure. Ces mêmes fans qui adorent black sabbath, iron maiden, ac/dc, twisted sister and des tas d’autres groupes qui vendent des tonnes d’albums ! On dirait que certains ont perdu leur sens de l’ironie ! Le Metal passe par plusieurs phases en termes de ce qui l’influence conceptuellement. Et souvent, quand certains groupes deviennent populaires, d’autres les chambrent en les traitant de vendus. C’est ridicule mais ça ne date pas d’hier, que ça vienne
des groupes ou des fans…
En ce qui concerne un prétendu renouveau, je ne sais pas. Je ne pense pas que des styles comme le death, le black, le thrash, le doom et le black Metal puissent être totalement renouvelés, et ce n’est vraiment pas le but. Jouer de la musique de qualité, c’est tout ce qui compte. De toute façon, ces différents styles évoluent tellement en ce moment en incorporant beaucoup d’éléments différents. Par exemple, dead congregation et dying fetus sont tous les deux des groupes de death metal, et pourtant ils sont diamétralement opposés. Ils auront donc leurs fans respectifs qui se mélangeront très peu au final.
Mon seul et unique critère lorsque je signe un groupe, c’est que j’aime sa musique et que je prenne plaisir à l’écouter pour moi-même. Evidemment il arrive que mon enthousiasme à l’écoute d’une démo ou d’une répète d’un groupe soit un peu déçu par ce qui vient ensuite. Mais peu importe, du moment que je ressens quelque chose. Il faut que ça m’interpelle quelque part. Les goûts sont évidemment subjectifs, et je comprends que des gens n’apprécient pas mes sorties autant que moi, mais c’est leur problème, pas le mien. Et bien sur, je préfère certaines de mes sorties à d’autres, mais c’est normal.
Je ne me considère pas comme un passeur de flambeau, non. Je me vois d’abord et avant tout comme un fan. C’est clair qu’après 13 ans de bons et loyaux services avec le label, c’est cool de voir que j’ai eu un peu d’importance et d’impact, même si ça reste très minime et confidentiel.
-A côté du label, tu as ouvert Into The Void Records un magasin de disques spécialisé dans le Metal avec un collectif de personnes, de groupes, d’organisateurs de concerts. Pourrais-tu nous en dire plus à ce sujet ? Vous organisez aussi des concerts unplugged avec des groupes de Metal extrême…
Into The Void Records est probablement le petit truc le plus cool qui soit arrivé dans l’Histoire du rock en Irlande, toutes scènes confondues. A part deux gars plus jeunes, on a tous fait nos armes dans l’underground irlandais depuis la fin des années 80, et on a tous été actifs avec nos projets personnels depuis des années. Une fois que la boutique de Sentinel Records a fermé en juin 2010, on a tous ressenti un vide. La même année, Rob de vomitor a déménagé de manière permanente en Irlande, et s’est lancé à plein temps dans le tatouage. Du coup on a eu l’idée de lancer une boutique mélangeant la musique et le tatouage, et ça a fini par se faire.
On a un petit magasin sympa dans le centre de Dublin, et dans la cave on peut organiser de petits concerts avec peu de public. Par exemple on a eu Patrick Walker (ex warning, 40 watts sun), Kimi Kärki (ex reverend bizarre, lord vicar), the Ra Al Dee Experience (formé avec des membres de necros christos), et aussi des groupes locaux comme fern floor, woven skull, bloody kisses (groupe reprenant du type o negative), etc. La boutique est faite pour les métalleux, les punks, les fans de rock. Tout le monde peut venir passer un bon moment, et puis on a déjà organisé des soirées sympatoches depuis à peine un an d’activité. Les temps sont durs economiquement en Irlande en ce
moment, et ouvrir un magasin de disques à une époque où le concept est en train
de crever, c’était plutôt couillu. Mais nous l’avons fait pour nous, et on verra bien comment ça tient la route.
-The dubliners, thin lizzy, the chieftains, Rory Gallagher ont œuvré dans le monde entier pour la reconnaissance de la musique made in Ireland. Mais en ce qui concerne les artistes d’aujourd’hui, j’ai l’impression qu’aucun ne bénéficie de la reconnaissance que ces prédécesseurs ont eue et bien méritée. Quels sont les groupes irlandais qu’on devrait surveiller de plus prêt d’après toi ? Vous recevez du soutien de la part des medias irlandais avec la boutique, le label ?
Depuis les années 90, l’Irlande est dominée par la pop de merde. L’Histoire du rock de ce pays est toujours restée un peu à la marge, et je ne parle même pas du Metal, qui est complètement ignoré. Du coup il y a forcément un côté underground qui a prédominé. A mon avis, aucun groupe actuel ne recevra autant de reconnaissance que les groupes que tu as cités. Mais ça n’empêche pas qu’il y ait encore de la bonne musique composée chez nous.
Pour le rock, je recommande wizards of firetop mountain. Ca démonte dans le genre hard rock 70’s avec une touche de doom. Ca pète en concert, c’est bien énergique.
Brains est un autre bon groupe. Ils sont un peu plus variés, dans la lignée de Roky Erickson.
En plus extrême zom est aussi très bon et a pris l’underground par surprise avec son death metal bien cradingue.
A mon avis ce sont les 3 groupes irlandais actuels qui valent le coup.
Les medias irlandais généralistes se sont intéressés à notre boutique Into The Void Records quand on l’a ouverte. C’est normal, on montre quelque chose de cool, de positif dans un pays en crise qui s’est baisé lui-même la gueule économiquement. En dehors de ce côté « histoire sympa » à mettre en avant, les medias se foutent un peu d’en savoir plus sur nos activités. Mais bon de temps en temps ils font un papier sur nous. Ca n’a pas vraiment eu d’impact sur notre popularité. On s’y attendait de toute façon, vu que les métalleux plus orientés vers le mainstream ne suivent pas cette musique de manière aussi pointue que nous, qui sommes tombés dans la marmite depuis des lustres.
-Avant de te quitter, je voulais que tu nous parles un peu de ton actualité avec Invictus Productions et Into The Void Records (albums, concerts). A plus et santé l’ami !
Santé Nathaniel ! Merci pour cette interview. Pour le moment, j’attends que les albums de reveal ‘Nocturne of Eyes and Teeth’ et d’occultation ‘Three and Seven’ arrivent de l’usine de pressage.
Ensuite il y aura le nouveau mini album de gospel of the horns ‘ceremonial conjuration’ normalement en été. Et puis aussi l’album de chapel ‘satan’s rock’n’roll’. Plus tard dans l’année je prévois de sortir le troisième album de vomitor ‘the escalation’, ainsi que celui de slutvomit ‘swarming darkness’. J’ai d’autres projets en cours, mais encore trop incertains pour être confirmés maintenant.
On a aussi des concerts prévus avec des groupes locaux dans la cave de la boutique d’Into The Void Records, et nous ferons très certainement quelque chose de spécial à l’occasion du festival de doom Dublin Doom Days en septembre
http://invictusproductions.net/
http://intothevoidrecords.com/